top of page

De la beauté et de la libération des présents : trois grands artistes

  • Photo du rédacteur:  Philippe Festou
    Philippe Festou
  • 23 juil.
  • 4 min de lecture

Barre Phillips, Gerard Pape et Abdeslam Michel Raji


Le cinéaste Alain Cavalier, nous racontait dans le documentaire d'Yves Jeuland "Cavalier seul", que sa décision radicale de faire un cinéma de "vérité" était la conséquence de deux moments essentiels de prises de conscience dans sa carrière : d'abord en essayant de ramener Romy Schneider sur son tournage ; après l'avoir chercher dans les cafés de la ville, la retrouver dans un état de grande fatigue, aussi à cause du vin de Bordeaux...

La pensée lui vint de la filmer en cet instant (s'il avait eu avec lui une caméra) car cette réalité bien plus vivante et sans far surpassait de loin toute fiction et représentation d'un tournage et d'un film qui deviendrait alors une pâle copie de la vérité humaine.

La deuxième prise de conscience est le retard du chef opérateur qui devait filmer les essais de Catherine Mouchet pour le film "Thérèse" : Alain Cavalier, contraint de prendre lui-même la caméra comprend que l'objet est au delà du prolongement de son œil et de son oreille, elle est toute sa pensée en mouvements improbables.

Ainsi, des événements de nos vies aux allures apparemment insignifiantes peuvent nous faire entrer dans un engagement sans concession et déterminer une esthétique et des prises de positions d'une grande force artistique et devenir une forme de voie initiatique.

C'est le cas de Barre Phillips, Gerard Pape ou Abdeslam Michel Raji avec qui j'ai eu la chance de collaborer tous les trois indépendamment pour des recherches de vérités à libérer les présents.


  • J'ai fait plusieurs concerts avec Barre Phillips, parfois précédés de répétitions même lorsque nous allions improviser ; mais chaque fois, il s'agissait pour lui, de faire une musique de l'instant ; ainsi d'une fois sur l'autre rien n'était identique. Au point où, lorsqu'il sentait qu'en jouant je m'embarquais dans des schémas rassurants, des discours convenus, parce que j'y trouvais un confort relatif mais finalement factice, il partait dans des directions imprévisibles, en ruptures, m'obligeant à aller chercher tout au fond de moi les énergies nécessaires non pas à ressacer au mieux ce que je savais déjà mais pour m'inviter à me perdre sur des chemins inconnus et tout à fait nouveaux. Mais n'est-ce pas cela la réelle création ?

    Un jour il m'a raconté qu'il a fait un concert d'improvisation et qu'il avait inversé les cordes de sa contrebasse pour casser tous les schémas d'aprentissages et se retrouver ainsi dans la nécessité absolue de revivre un présent avec la déconvenue de la redécouverte.

    S'adapter dans une nécessité absolue pour s'associer dans une posture vitale à ce qui se déroule dans un présent bien réel, au lieu de recombiner à l'infini, sinon les planifier inconsciemment tout en jouant, des éléments que l'on connait par cœur et dont nous ne sommes pas les détenteurs (alors qu'on les croit personnels) : c'est là le principe de la composition, de la différence entre les écritures projetées et les écritures instantanées.

    Ainsi, se mettre dans une posture de présent lorsqu'on écrit une musique sur le papier est tout l'enjeu de la créativité réelle.



  • La musique de Gerard Pape avec une radicalité assumée et comme il aime à le dire lui-même "une originalité absolue" échappe là aussi à tout principe conventionnel : la structure pourtant précise de la partition élabore une forme qui va induire différentes énergies et les itérations ou les mouvements à trouver dans le corps devront libérer des particules qui échappent à toute écriture formatée. La musique se déploie alors toute seule et si on s'en tient à sa première impression, englués de nos apprentissages, ceux qui nous ont enfermés jusqu'à ce jour, on se coupera de toute la magie et de ce qui est sous entendu. C'est à dire que l'aspect mathématique de la partition et la précision à trouver dans le corps laisseront un champs libre aux rythmes inhérents et imprévisibles des spectres harmoniques, un monde aléatoire à l'endroit de l'humain qui répond pourtant à des lois, tandis que le son pourra s'émanciper et ou la musique pourra enfin exister dans un au-delà.

    Ainsi, cette sensation que ce qui fait œuvre nous dépasse, ne nous appartient plus et que les choses se déploient malgré nous énergétiquement sur d'autres sphères, n'est pas sans rappeler John Cage dans ce renoncement egotique du créateur et de l'interprète : nous travaillons à donner l'impulsion juste, le reste est affaire de sphères.

    Si en premier lieu, la question esthétique semble ne pas se poser, lorsque l'implication physique et la conviction de l'interprète sont optimales, la beauté apparaît. Encore faut-il lâcher dans le jeu comme dans l'écoute, toutes habitudes enfermantes et préjugés.

    Alors, ce qu'il advient d'une fois sur l'autre, est plus que jamais la conséquence d'un engagement ; mystère qui pour un moment, d'un jour sur l'autre, nous échappe un peu : la forme pour libérer la forme.



  • Abdeslam Michel Raji, écrit la danse dans le temps de la danse, en l'espace d'un temps. S'il a conceptualisé la chorésophie, celle-ci se conscientise dans le corps et au travers du souffle. Ce même souffle qui vient animer l'être nouveau au monde et qui repart avec ce fameux dernier vieux souffle.

    Raji, nous invite à entrer tout entier dans le présent et lorsque nous nous sommes retrouvés ensemble il s'agissait de faire un happening plutôt qu'une performance : Décroissance, nécessité du flux, Il fallait laisser advenir l'instant en se rendant disponible à celui-ci. Il fallait revenir à l'essence.

    Le monde, celui de l'obscurité, nous contraint, il nous presse, il nous détourne, Michel Raji nous suspend dans un temps où le mouvement, le son et le souffle ne sont plus qu'un ; car oui, tout nous traverse et tout vibre à travers nous.

    Comme chez Alain Cavalier, donner un virage et un visage nouveau à son art, où en filigrane nous apercevons Rûmi et le soufisme, engager un pas audacieux sur un nouveau sentier, créer une rupture avec le trop appris, le trop connoté, avec le toujours trop, au risque de l'incompréhension et du rejet des pairs, c'est aussi l'histoire de Raji : une conscience est née le jour où il entend par hasard une cassette audio "La danse des astres", événement d'apparence insignifiante mais qui induira l'unicité du souffle, du mouvement et du son dans une pratique émancipatrice de l'être, entre danse rituelle et voie de l'esprit pour libérer les présents infinis.








 
 
 

Commentaires


bottom of page