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Photo du rédacteur Philippe Festou

L'oreille au monde



Chapitre VIIII


Viens, viens le son !

Viens dessiner

Deviner les méandres

Par le samā le samadhi

Viens le Divin

Je m’abreuve en dérive


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L'oreille est un organe complexe constitué de trois parties : l’oreille externe et visible comprend le pavillon et le conduit auditif, l’oreille moyenne est celle du tympan et des osselets constitué de trois petits os : le marteau, l’enclume et l’étrier. Sur un voilier, l'écoute est un cordage qui permet de régler l’angle de la voile par rapport là encore à un phénomène invisible : le vent. « Écouter » est donc une histoire de forgeron et de navigateur, une histoire de martèlement convaincu du présent où, tel le son avec sa nature volatile il ne peut être saisi par le maillot et encore moins plaqué au sol, c’est d’abord l’esprit qui sera piqué dans un infime présent ; avant la vibration il était trop tôt et après elle il sera trop tard ; il faudra donc « battre le fer pendant qu’il est chaud ». Le marteau, l’enclume et l’étrier transmettent leurs mouvements à la cochlée dans l’oreille interne. La cochlée est cause des perceptions des mouvements de notre tête et par voie de conséquence du reste de notre corps. Chaque cellule de la cochlée répond à une certaine fréquence que nous arrivons ainsi à différencier lorsque l’information est transmise à notre cerveau. Elle contient donc à la fois l'organe de l'audition et celui qui contrôle l'équilibre tel un fil à plomb, croix parfaite entre horizontalité du discours des sons qui tendent à échapper à nos préhensions et verticalité du présent de l’être. La bande de fréquence est généralement plus large pour les animaux et chez la chauve-souris où la stéréophonie et l’écholocalisation y sont particulièrement performantes. La plupart des mammifères possèdent deux oreilles et peuvent orienter les pavillons pour amplifier certains sons ; cette fonction n’est pas possible chez l’homme car ses muscles se sont atrophiés, sauf chez certains qui en usent parfois pour faire rire les enfants…


2


Si la conjoncture sanitaire et politique avaient au moins permis que je m’immisce entièrement dans cet espace de liberté, je pensai que le désir d’entendre le subtil n’était pas tant une fuite que l’opportunité d’une réelle ouverture à des espaces insoupçonnés en moi, vers les autres et dans le monde ; j’eus la conviction profonde que c’était cela qui me permettrait de trouver « ma » liberté. À l’invitation d’Épictète et dans cette société qui nous enfermait dans ses dogmes, dans ses formes convenues et ses mensonges, il fallait « trouver autre chose » :

« Qu’est qu'est-ce donc qui rend l'homme affranchi de toute entrave et maître de lui-même ? Ce n'est pas la richesse, ni le consulat, ni une préfecture, ni la royauté : il faut trouver autre chose ». Avait-il dit.

Et puis fuir, sans se focaliser sur un seul des aspects péjoratifs que notre culture associe souvent à la lâcheté, n’est-ce pas parfois tout simplement aller conquérir des espaces qui puissamment nous inspirent, des univers qui nous sortent du carcan momentané des situations qui ne dépendent plus de nous ? Nous reviendrons peut-être plus tard avec plus de forces, avec de meilleurs outils de paix et nous pourrons mieux faire face. J’avais décidé d’entreprendre une forme d'écoute pour laquelle il fallait surtout conserver la sensation du désir autant que celle du plaisir. Dans cette décroissance du bruit qu’Henry David Thoreau n’aurait pas renié, il fallait entamer d’abord un processus régressif, prendre le chemin du retour vers une enfance qui s’était évaporée momentanément en moi, tirer un bord vers la berge de ma rive pour appercevoir mon Walden. Sans artifices et sans mettre la technologie avant la perception mais à son seul service, le cœur de la voie c’était avant tout de retrouver ma capacité d’émerveillement, les oreilles éblouies par les tressaillements de la vie et un grand éclat de rire.

3


J’avais apprécié « Ocean of sound » le livre de David Toop. Je l’avais emporté à Paris et j’avais l’intention de le relire. Dans cet ouvrage, l’idée de présenter notre planète comme un tout résonnant et comme « un théâtre sonique », scène sur laquelle s’entremêlent l’univers des pratiques des instruments et des écoutes me paraissait très juste. Je me souvins aussi de cette image employée par le saxophoniste Wayne Shorter : si nous avions la possibilité de percevoir tous les sons de notre planète depuis le cosmos, tandis qu’elle serait réduite à nos yeux à la taille d’une simple balle, « on y écouterait seulement la symphonie du monde ». Dans la mémoire de cette phrase entendue ou lue quelque part, je ne sais plus, il s’agissait en tous les cas de quelque chose comme ça… J’avais tendance à me méfier des mots cloisonnants et je parlais volontiers d’esprit plutôt que de spiritualité en évoquant cette voie alchimique de l’écoute. Car il n’y a rien d’intéressant si ce que nous percevons ne nous raconte pas au moins un peu de nous-même, où, dépassée la seule curiosité des phénomènes improbables prouvés ou non par les sciences des hommes, il existe une raison plus haute et plus noble que la partialité des considérations des chapelles.

Dans les oeuvres que j’avais écrites, comme c’était le cas dans Ti Quan ou Omikuji, je voulais toucher cela, ce rapport de l’espace sonore avec la perception où les frontières entre représentation et réalité sont poreuses, où notre façon de reconsidérer cette perception et le geste artistique n’est plus clivante, où tout ce qui frappe le tympan d’une manière ou d’une autre en dehors de tout critère de jugement esthétique est susceptible de faire œuvre commune, où celui qui écoute comme celui qui produit du son est un compositeur en puissance par sa seule façon de considérer ce qui se joue à sa conscience, où chacun se sent libre de goûter les diverses strates des phénomènes observés par l’oreille et le cœur puis de les combiner infiniment à sa guise, où enfin chacun se sent vibrant, virant, ravi et invariablement vivant.

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