La question égotique de la diffusion de son art est toujours épineuse car il faut aller cher bien loin en soi ce qui motive justement cet art et ce qui lui donne une légitimité au regard ébahi ou réfractaire des uns et des autres.
J’ai parfois la sensation d’être dépassé par une force autre que celles que je crois maîtriser, une force supérieure en tout, qui me met en chemin de ce qui doit être fait et dit de manière juste, ce quelque chose qui est aussi une partie
intrinsèque de ce qui constitue ma personne ; parfois je l’écoute, d’autres fois je hausse les épaules.
Car « personne », « per-sonare » en italien, celui par qui le son passe, le résonateur, le transmetteur n’est pas un « moi » égotique, tout du moins, il ne devrait pas tendre vers cela ; il s’agit plutôt d’un « moi » qui se tourne vers une nécessité altruiste, une conscience du cœur dans le principe vital de partage et de bien commun.
C’est une voie, un travail, un accomplissement à réaliser.
Alors, tout en ayant l’impression de me laisser une entière liberté, cette force m’invite, si je suis tout à fait attentif, à une forme de joie, la proposition à n’être finalement que moi-même toujours un peu plus, devenir un être qui réalise dans sa chair le bonheur auquel chacun peut prétendre autant que l’impérieuse nécessité de la transmission et du partage.
Peut-être que nous ne pouvons trouver une réelle paix seulement dans ce don et dans l’ensemble des actes que nous entreprenons et qui convergent vers les autres. Ce serait là le secret des choses, le vrai trésor de la vie à re-découvrir.
Mais le véritable don de soi n’est jamais un compromis avec les choses, encore moins un sacrifice par dépit, car cela reviendrait à réaliser une oeuvre par défaut et donc un acte « à demi » dans les meilleur des cas.
Dans nos journées, la moindre parcelle d’action est une création plus ou moins inspirée dans laquelle nous sommes plus ou moins le medium entre un invisible et un indicible.
Par exemple, souhaiter une bonne journée à quelqu’un, la façon, le ton avec lesquels on dit cette formule, la sincérité qui imprègne cette phrase peuvent n’avoir été que pure politesse si on y prend garde.
L’art commence ici, à comprendre ce qui touche l’autre et l’art continue avec le « comment ».
Le don est la parfaite réalisation de notre être, la complétude de notre âme et l’accord parfait entre cet être et son devenir.
Federico Fellini pensait que l’esthétique des choses était purement subjective et que la seule façon de juger une œuvre était de savoir si elle était vitale.
La seule chose à faire dans cette vie est de se re-trouver soi-même dans sa propre entièreté et c’est là tout le travail délicat de l’existence : un moment d’introspection nécessaire peut nous éclairer sur nos actes créatifs, si nous parvenons à nous concentrer sur la seule pensée objective et sincère des destinataires de nos œuvres qu’il s’agisse de musique ou d’un simple « bonjour », en ne focalisant que sur ce qui est vital pour tous.
Et il faut être vigilant sur le fait de se maintenir toujours et toujours dans cette action et en laisser couler la spontanéité, tel que l’a écrit Maeterlinck : il faut vivre, parce qu’il n’y a pas un acte, pas un mot, pas un geste qui échappe à des revendications inexplicables en un monde « où il y a beaucoup de choses à faire, et peu de choses à savoir ».
Paris, janvier 2019
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