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« Musique savante » et éducation populaire.

27/03/2016

Il me semble, avec ces années de transmission et d’accompagnement au travers de la musique de création qu’il était important d’en faire non pas un bilan mais d’en dresser les lignes qui ont permis les aventures singulières autant que les points qui en sont les lignes de forces pour le futur.

Il m’apparait important également de situer le terme « musique savante » dans un contexte qui reste incongru, j’en expliquerai plus loin la raison.

L’approche des pratiques de musiques de création (interprétation et écriture) est particulièrement rare ou quasi inexistant dans les MJC et dans l'éducation populaire en général.

Il faut d’abord entendre la terminologie « musique de création ». Je la préfère à celle de musique « contemporaine », tout simplement car elle définit le mieux ce qu’elle est en terme d’écriture et de nouveauté ; par ailleurs toute musique est contemporaine au moment où elle est créée : Mozart fut en son temps un contemporain… On a coutume de définir cependant la musique « contemporaine » depuis la période de l’après guerre jusqu’à la musique de création actuelle.

A ce titre, j’utiliserai les guillemets systématiquement pour « musique contemporaine » et « musiques actuelles », n’étant pas en accord avec ces vocabulaires.

En somme, il s’agit bien d’une classification totalement arbitraire ; de plus, la connotation « musique contemporaine » a subi une altération plus ou moins péjorative dans l’esprit de certains, cela est dû en partie aux positionnements parfois dogmatiques et catégoriques de certains compositeurs du XXème siècle qui ont eu des tendances presque maniaques à se positionner en décideurs de ce qui était de la musique sérieuse, de la musique de seconde zone ou carrément ce qui était pour eux contraire aux principes musicaux.

C’est de ces pensées catégoriques de créateurs et quelquefois de certains musicologues que la notion de « musique savante » est née. D’ailleurs le terme existe bien aujourd’hui encore pour définir cette catégorie de demande de subventions sur la création musicale.

Allons bon, si une musique peut être savante, qu’en est-il du reste ? Des mots existent aussi puisque la terminologie « musique populaire » existe ; elle classe dans sa besace le jazz (pourtant il existe bien un jazz dit de « création ») et les « musiques actuelles », une sorte de fourre-tout (comprenant les musiques d’Amériques du sud comme la salsa ou la musique brésilienne) ; de tout cela nait une catégorie (musiques actuelles) mais qui ne comprend pas dans son giron la musique dite « contemporaine »… actuelle donc mais pas contemporaine…surprenant ! Depuis peu, le classement a tendance à utiliser finalement le terme « musiques amplifiées », comme si la musique dite contemporaine n’utilisait pas fréquemment l’amplification…surprenant encore !

Le jazz dit « de création » se nourrit quant à lui, entre autres choses, des compositeurs contemporains, la musique contemporaine, elle, a puisé depuis toujours au sein de la musique traditionnelle et des musiques de son temps dites « populaires ». Ces liens ont toujours existé et sont présents encore aujourd’hui.

Nous voyons bien que ces catégories sont dans un premier temps très arbitraires sinon parfois absurdes car elles ne correspondent en rien de la réalité. Il reste à trouver la différence entre le terme de « musique savante » et celui de musique « populaire » puisque les deux semblent s’opposer ou plutôt, on a opéré une séparation claire qui s’est traduit jusque dans l’enseignement des conservatoires et par voie de fait, dans les MJC.

La musique « savante » serait une musique liée à une connaissance, un savoir de sa construction propre ; la musique populaire non… Alors dans ce cas qu’enseigne t-on si ce n’est un savoir (dont les périodes historiques sont variables d’une histoire et d’un style à l’autre) lorsqu’un enseignant fait travailler un morceau de rock n’roll ou un standard de jazz, si ce n’est une connaissance, une tradition, un « son » précis de la chose ? Là non plus la classification ne tient pas.

Alors, nous dit-on, la musique savante est une musique qui est héritière et qui tire son matériau de l’écriture instrumentale : en ce sens, l’oralité serait « populaire ».

Là non plus l’argument ne tient pas, la musique de création (dite contemporaine) a développé l’improvisation libre (non idiomatique, dans la lignée du free jazz des années 60, surprenant encore…) et la musique électroacoustique, dès l’après guerre.

Inversement, le jazz depuis ces débuts joue une musique parfois orchestrale et écrite intégrant l’improvisation. Nous voyons bien encore que les notions de musique écrite et d’oralité ne sont pas des arguments pour catégoriser et séparer musique savante et musique populaire.

Alors, d’où vient ce classement historique qui oppose musique savante, reléguant les œuvres contemporaines au répertoire classique au fil des siècles, c’est logique, à la musique populaire ? Il est à noter que, paradoxalement, les musiques issues des folklores ne font pas partie de la catégorie « populaire ».

Autrement dit, posant la question clairement : y-a-t-il une musique sérieuse et une musique qui ne le serait pas ? Soyons encore plus clair en poussant le principe : y-a-t-il une musique pour certains et une musique pour d’autres ?

Cependant la « musique contemporaine » n’a pas toujours une place privilégiée au sein des conservatoires, en dehors de quelques classes de compositions dans les CNR et de pièces de compositeurs contemporains imposées au programme pour passer un prix de clarinette, de piano ou de harpe… la musique de création subit souvent la frilosité même de ces institutions.

L’entrée des musiques « actuelles » dans certains conservatoires, répond à une directive ministérielle et n’est à mon sens pas fondée sur un souhait profond habité d’une pédagogie adaptée : les raisons ? Je ne sais pas, mais je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’une demande liée au contexte sociologique ; je me trompe peut-être sur ce point.

Aujourd’hui nous sommes confrontés à cette opposition dogmatique entre ces postures dites savantes et non savantes, entre savant et populaire, entre conservatoires et MJC…

Elles perdurent souvent dans les faits mais aussi dans les croyances, dans les postures sociales et parfois encore idéologiques.

Peut-on nommer différemment la musique « contemporaine » ? Peut-on en donner une définition qui ne serait pas enfermante ?

Tentons : nous pourrions dire de cette musique de création qu‘elle répond à une nécessité créative et expérimentale en renouvellement permanant, en tenant compte de l’histoire de l’écriture instrumentale, électroacoustique et des concepts de l’improvisation musicale (forme de composition instantanée).

C’est mon parcours musical depuis plus de trente années qui me permet d’échapper (un peu) aux catégories, aux classements, aux croyances contre lesquelles il a fallu souvent lutter. Mon cursus d‘études fut autant celui d’un élève de trois conservatoires dont le CNRR de Marseille (en composition) que celui d’un musicien autodidacte (sur certains points, notamment l’improvisation). Ce refus d’être enfermé dans le système diplômant d’un conservatoire, cette attitude souvent conflictuelle avec l’autorité et le système en voulant en même temps aller jusqu’au bout pour avoir ses prix en poche a été un paradoxe que j’assume aujourd’hui et plus que cela, je le trouve salutaire et essentiel ; il m’a permis plus tardivement de percevoir sous un angle neuf ces rapports et oppositions dans les postures entre l’éducation populaire et l’enseignement dans les conservatoires.

Dans un conservatoire, l’approche structurelle pour accueillir les musiques actuelles reste délicate. De la même façon, dans une MJC, rien ne prédispose celle-ci à accueillir de la musique « contemporaine » ; je parle en ce sens en terme de structure d’enseignement : pas de formation musicale facilitant l’apprentissage de la lecture musicale ; des postures éducatives, des croyances et des « à priori » sur la musique de création qui résultent des choix éducatifs et de partis prix historiques et politiques ; par voix de conséquence un instrumentarium souvent limité : guitares, percussions, piano et saxophones (peu ou pas de cuivre, de bois, de cordes frottées ou de chant) ceci étant logique puisque les instruments effectifs sont ceux que l’on retrouve dans le jazz et les musiques rock.

Sur ces douze années de transmission sur la musique de création à la maison des jeunes et de la culture de Martigues, j’ai pu, souvent avec acharnement mais toujours avec foi et j’espère bienveillance, transmettre ces notions qui me sont chères, avec une approche de la musique différente et en essayant toujours de créer un lien avec les forces en présences, les musiques déjà actives mais aussi les caractères, les facilités ou les difficultés instrumentales de chacun, les peurs, le rejet parfois de certains, la joyeuse découverte, l’épanouissement d’autres.

Ce lien rare de qualité et d’accueil dans l’altérité a été rendu possible grâce à une étroite collaboration en confiance avec l’équipe pédagogique que nous avons formé et dont les spécificités de chacun touchaient des musiques pourtant variées.

L’approche contemporaine dans les groupes de musiciens apprenants n’est malheureusement pas toujours d’un abord facile car le répertoire pédagogique en direction des adultes est encore peu fourni. La posture de la musique dite « savante » a certainement relégué la création pédagogique comme quelque chose de seconde classe, la question reste ouverte…

Là encore, la contrainte des niveaux instrumentaux mais aussi de l’instrumentarium m’a permis de travailler sur un pan de moi même et a conditionné toute une partie de mon écriture musicale. J’ai du développer des pièces à instrumentations variables et à formes ouvertes permettant une élasticité optimale sur ce plan. Ce point est devenu tellement prégnant qu’il est intégré complètement dans mon écriture y compris pour les pièces à destination de musiciens et d’ensembles professionnels.

Nous avons cependant abordé tout au long de ces années des pièces intégrant des formes ouvertes avec des compositeurs tels John Cage, Terry Riley, Karlheinz Stockhausen, Steve Reich…

Au delà de ce travail purement musical - car, en fait, il me semble que la musique est toujours un moyen et non un but en soi - l’approche de la musique de création dans cette transmission, est située sur deux plans complémentaires : l’atelier de composition, dans lequel nous expérimentons l’écriture au sens large. Nous travaillons sur le contrepoint, la composition personnelle instrumentale et électroacoustique (acte créatif) et sur les partitions (en analyse) et écoutes des œuvres de compositeurs (sur quatre siècles).

Dans les groupes, le travail se fait à partir des partitions à formes fermées ou ouvertes, sur la notion d’interprétation ainsi que sur l’improvisation libre (non idiomatique).

Si la musique créative garde ce caractère expérimental, le mot ne doit pas être pour autant galvaudé, une œuvre expérimentale est une œuvre qui fait sens, c’est une œuvre qui retrouve une fonction, la fonction essentielle de l’art. Notre monde noyé dans la commercialisation à outrance, l’appât du gain plutôt que celui du sens retrouve dans la musique et son expérimentation un intérêt social et humain : expérimenter en musique c’est s’expérimenter soi-même.

Au delà du compositeur que je suis ou plutôt, indissociablement de cela, je suis devenu musicothérapeute ; ce n’était pas tant la thérapie en tant que telle qui m’intéressait au début ; je voulais comprendre les chemins de l’être au son, du son vers l’être. Les éléments perceptifs et émotionnels qui en découlent.

Cette approche est une part majeure dans mon travail de compositeur autant que dans celui de pédagogue. A titre d’exemple, les interventions que j’ai pu faire avec des bébés m’ont permis de développer ces notions de focalisation sur le silence (ou comment amener l’écoute du silence à partir du son).

Cet aller-retour entre celui qui reçoit et celui qui transmet est un partage permanent pour peu qu’on s’ouvre l’un et l’autre à sa propre créativité et son écoute et qu’on veuille bien sortir en confiance des schémas appris. C’est cela que permet la musique de création dans sa transmission.

Elle permet (souvent d’ailleurs avec les formes ouvertes) d’aborder et de ressentir les notions de temporalités et d’énergies sonores variées ; ces formes permettent quant à elles de s’emparer de moments opportuns par le sonore et de développer ainsi son autonomie et la prise de risque dans l’espace temporel autant que dans l’espace physique (spatialisation).

L’invitation se fait toujours sur une écoute qui ne juge pas les sons, puis sans juger la source du son et par voie de conséquence sans juger l’autre dans sa production sonore et dans son expression.

L’expression non schématique de l’improvisation libre intégrant la notion des énergies à mettre en œuvre, permet de mettre en mouvement vital son être intérieur, de le communiquer dans une écoute fine de l’univers des autres.

Cette approche musicale passe par le ressenti, l’émotionnel en tant qu’interprète, en tant qu’improvisateur, elle peut passer également par une approche intellectuelle en tant que créateur apprenant, il n’y a pas de posture manichéenne ; l’un n’exclut pas l’autre. Chacun peut se retrouver dans une manière qui parle à ses sens. Elle permet d’échapper au format et au formatage par son approche créative.

A ce titre, si « musique savante » il y a parmi les autres, la musique de création a toute sa place dans l’éducation populaire et devrait de la même façon être développée plus encore au sein des conservatoires.

Il est difficile et surtout très long de quantifier sur le papier les moments incroyables qui ont permis à des musiciens de toucher ces notions au regard de ces douze années écoulées, de parler de ces moments qui affirment une partie de soi même qui s’est découverte ou trouvée car il s’agissait d’une interprétation, d’une création, d’une improvisation qui en l’espace de cinq minutes ou de quatre secondes a révélé une partie de soi-même mais il s’agissait aussi parfois d’un simple regard ou d’une attitude de concentration magnifique.

Le tout reste indicible, il est par nature relié au monde sonore et à l’humain et échappe un peu à celui de l’écrit.

Dans ces principes d’ouverture que la musique de création permet, celle du travail que je mène conjointement avec le conservatoire de Martigues va dans le sens d’une abolition des préjugés ; les façons de travailler, les approches sont encore marquées par l’histoire des institutions mais le lien et la rencontre n’en sera certainement que plus riche.


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