En réponse à l’article paru dans le Reflet du mois d’avril
Il est courant qu’une municipalité édite sa revue, qu’elle la donne gracieusement et la distribue dans les boites aux lettres de ses administrés. Quels que soit les bords politiques, dans de nombreuses villes on y fait étalage tout au long de l’année du bienfait et du bien fondé des actions de la majorité qu’on représente ; c’est de bonne guerre…
Oui, c’est aussi cela la politique, en prévision des enjeux électoraux à venir sûrement, on s’assure le soutien moral et participatif de la population et on essaie d’élargir la quantité de soutiens.
Pourtant entre ce qui est de l’ordre de la valorisation des actions et celui de la « récupération », il devrait y avoir une marge que l’on aimerait voir difficilement, sinon jamais franchie.
Les bras m’en sont tombés à la lecture de l’article paru sur le dernier « Reflet » de la ville de Martigues qui titrait sur une page entière : « En synergie pour l’égalité », laissant entendre ainsi que les actions qui ont abouti à cette soirée étaient le résultat d’une politique menée par la municipalité à destination des personnes sourdes. Il y est précisé que la municipalité « souhaitait travailler avec les associations dans la lutte contre les discriminations », entretenant dans cet énoncé l’illusion que l’événement présenté à la Maison des Jeunes et de la Culture, dont une photo sur la page montre certains protagonistes impliqués lors de la belle soirée donnée le 11 avril dernier était du ressort de la ville. Et bien non ! Ce n’est absolument pas vrai !
Il s’agissait d’une restitution qui a trouvé toute sa place dans le cadre du festival Vagues Sonores, festival des musiques de création porté par l’ensemble Yin ; il est facile d’entretenir un flou car le processus de ces ateliers a bien amené un groupe de personnes sourdes et malentendantes à la soirée du 11 avril. Ces ateliers ont été réguliers à la Maison des Jeunes et de la Culture depuis le mois de juin 2023, ils ont duré pendant plusieurs mois, mais ils ont été entièrement produits par l’ensemble Yin sans lien direct avec la municipalité, voilà toute la différence.
Ce projet a pu être réalisé grâce au conseil départemental des Bouches du Rhône, grâce à la Maison des Jeunes et de la Culture et pour être très clair encore une fois, en aucune façon grâce à la ville de Martigues. La commune n’y a été impliquée ni matériellement, ni financièrement, ni dans aucune médiation, pas plus qu'artistiquement.
Au-delà de ce détournement d’information et de cette photo ainsi déplacée de son contexte, c’est d’autant plus troublant - comme dirait le poète, je dirais même tout à fait irrespectueux qu’aucun des protagonistes n’ait été cité, que rien n’ait été dit ou seulement évoqué sur l’aventure humaine que nous avons traversé avec le groupe pourtant pris en photo avec la plasticienne Cassandra Felgueiras ; elle est intervenue pour le bonheur de tous, participants et public ce soir là, tout comme le percussionniste Damien Louis jouant « Rebonds » de Iannis Xénakis ; un morceau sur la vibration car oui, tout est question de vibrations et de vibrations justes. Deux articles sont parus, un dans la Marseillaise et l’autre dans la Provence annonçant la soirée quelques jours auparavant ; ils étaient précis et documentés, ce n’était donc pas une rencontre secrète pour celle ou celui qui voulait bien s’emparer du sujet avec attention.
Il est vrai que Gérard Frau (puisqu’il est cité dans l’article) est conseiller départemental et qu’il s’intéresse à la question des publics discriminés, mais malgré l’information que nous lui avons envoyé, il n’aura jamais répondu à notre message et il n’aura d’ailleurs pas été présent ce soir là. En revanche, une représentante du conseil départemental était de la partie ; finalement, les effets de communication ne peuvent rien face aux présences de terrain, les politiques concrètes sont souvent fantomatiques, mais dans une certaine réalité, les choses, en lieu et place finissent par exister de façon juste…
Donnons plus de précisions, puisque d’information concrète sur « Reflet » il n’y avait pas : dans notre projet il ne s’agissait pas de placer des personnes sourdes face au monde des entendants avec des pratiques musicales inappropriées mais de toucher une musique plus délicatement perceptive, nous permettant ainsi d’appréhender les sons, que l’on soit sourd, malentendant ou entendant, de trouver ainsi un espace sensoriel qui fait consensus et au-delà des clichés.
Depuis des années nous menons un travail sur la question de l’éveil des sens, de l’ouverture des consciences et des pratiques musicales dans la production comme dans la transmission dont les approches différentes impliquent la musique de création dans ses aspects multiples, c’était encore le cas dans ce projet « Toucher l’invisible » - oui c’était le titre de la soirée et des ateliers en amont, mais là non plus, le titre n’apparaissait pas dans l’article…
Vous l’aurez compris, je rechigne à ce que les éléments pris lors de cette soirée et glanés ça et là sans en connaître le fond ni les protagonistes servent à des fins de seule communication, l’article (prenons le vocable dans son sens premier) n’a pas manqué de me faire spontanément ressentir une once de tentative de récupération et cette vibration là, je dois le confesser, m’a déplu fortement.
En travaillant toute l’année sur les divers aspects de l’écoute, je ne peux que m’interroger sur cette forme de surdité là, celle qui est indifférente aux délicatesses du monde ; c’est certainement une surdité bien plus sévère qui traite pourtant d’un sujet dont le seul raccourci serait le mot « handicap ».
Philippe Festou, compositeur et directeur artistique de l’ensemble Yin
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